LE JEUNE CONTRE LE CANCER
FASTING AGAINST CANCER
Bruno Raynard
Gustave Roussy - Hpital de Chevilly-Larue Rseau NACRe (rseau National Alimentation Cancer Recherche) bruno.raynard@gustaveroussy.fr
Sous-titre : Principales conclusions du rapport
du rseau NACRe ÇJene, rgimes restrictifs et cancer
revue systmatique des donnes scientifiques et analyse socio- anthropologique
sur la place du jene en France È publi en 2017
Auteurs : Bruno Raynard,
Laura Bellenchombre, Juliette Bigey,
Christine Bobin- Dubigeon,
Patrice Cohen, Vanessa
Cottet, Florence Cousson-Glie, Philippine Fassier, Franois Fliu, Julie Ginhac, Sbastien
Mas, Stphane Servais, Mathilde Touvier, Marie- Paule Vasson,
Laurent Zelek, Paule Latino-Martel
Groupe de travail Ç jene et cancer È, rseau National
Alimentation Cancer Recherche (NACRe), https://www6.inra.fr/nacre/
Rsum :
Le jene est devenu une option thrapeutique possible chez
les patients atteints de cancer, malgr la rticence de la communaut
oncologique et le manque de preuve scientifique attestant des bnfices
cliniques de cette dmarche. Cette discordance entre croyances et envies des
patients dĠun ct, et ralit scientifique et scepticisme des mdecins de
lĠautre, a conduit un travail original qui a abouti la rdaction du rapport
du rseau NACRE en octobre 2017. Il expose le fait scientifique et le fait
socital dans une dmarche rigoureuse qui aboutit des recommandations de
prudence et de vigilance de tous ce sujet.
Summary :
Fasting diet has become a possible treatment option
for cancer patients, despite the reluctance of the oncology community and the
lack of scientific evidence of the clinical benefits of this approach. This
discrepancy between the beliefs and desires of patients and the scientific reality and skepticism of doctors
IpH
tn ^uociors
led to an original work and the writing of the NACRe
network report in October 2017. It exposes the scientific and societal facts in
a rigorous approach that leads to recommendations of caution and vigilance of
all on this subject.
Le jene, aux vertus purificatrices, est pratiqu dans de
nombreuses religions. Le Carme, le Sawn, le Taanit dsignent des jenes intermittents ou
partiels, souvent de dure courte et dont peuvent tre exclus les malades, les
jeunes enfants, les femmes enceintes, et les plus faibles de faon gnrale.
Elle nĠa donc pas, dans ces situations, de vertu thrapeutique. Le jene peut
aussi tre, parfois, une arme de revendication (grves de la faim). Cette
tradition est le fruit de notre capacit nous adapter aux priodes de
restriction alimentaire, famines ou disettes, pendant plusieurs jours voire
pendant plusieurs semaines.
La pratique du jene Ç thrapeutique È se dveloppe en France
depuis une quinzaine d'anne. Une forte mdiatisation (documentaires, ouvrages
grand public, articles de presse et sites web gnralistes ou spcialiss sur
la sant) tmoigne de cet engouement et contribue l'amplifier. Ces sources
allguent des effets bnfiques, notamment l'gard du cancer, tels que des
effets sur la tolrance et lĠefficacit des traitements anti-cancreux,
rpondant aux attentes des patients. Les professionnels de sant des services
dĠoncologie sont de plus en plus souvent sollicits pour mettre en pratique le
jene ou dĠautres rgimes restrictifs tels que le rgime ctogne pendant leur
traitement. DĠautres sĠengagent dans ces rgimes sans que les professionnels de
sant intervenant dans le parcours de soin en soient informs.
Pour valuer le bien-fond de ces allgations, les experts du
rseau National Alimentation Cancer Recherche (rseau NACRe)
ont examin lĠensemble des donnes scientifiques disponibles. CĠest la premire
fois quĠun travail scientifique de cette ampleur est ralis. Ce travail
dĠexpertise scientifique collective a conduit la publication du rapport Ç
Jene, rgimes restrictifs et cancer : revue systmatique des donnes
scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jene en France
È, en novembre 2017 (1). Dans le mme temps, lĠInstitut National du Cancer (INCa) a publi une fiche repres synthtisant les donnes
du rapport (2).
A lĠissue dĠune revue systmatique de la littrature
scientifique, 240 articles originaux et 123 revues ont t jugs
potentiellement pertinents par les experts du groupe de travail. Les critres
d'inclusion et dĠexclusion ont t dfinis priori par le groupe de travail et
sont disponibles dans le rapport.
I Les donnes, issues de lĠanalyse des articles et revues
identifis, ont permis de dfinir les diffrents
rgimes d'intrt, d'tablir des recommandations sur la base des preuves Kientifiques issues des donnes exprimentales,
pidmiologiques et cliniques.
LE JEUNE CONTRE LE CANCER FASTING AGAINST CANCER
Bruno Raynard
Gustave Roussy - Hpital de Chevilly-Larue Rseau NACRe (rseau National Alimentation Cancer Recherche) bruno.raynard@gustaveroussy.fr
Sous-titre : Principales conclusions du rapport
du rseau NACRe ÇJene, rgimes restrictifs et cancer
revue systmatique des donnes scientifiques et analyse socio- anthropologique
sur la place du jene en France È publi en 2017
Auteurs : Bruno Raynard,
Laura Bellenchombre, Juliette Bigey,
Christine Bobin- Dubigeon,
Patrice Cohen, Vanessa
Cottet, Florence Cousson-Glie, Philippine Fassier, Franois Fliu, Julie Ginhac, Sbastien
Mas, Stphane Servais, Mathilde Touvier, Marie- Paule Vasson,
Laurent Zelek, Paule Latino-Martel
Groupe de travail Ç jene et cancer È, rseau National
Alimentation Cancer Recherche (NACRe), https://www6.Inra.fr/nacre/
Rsum :
Le jene est devenu une option thrapeutique possible chez
les patients atteints de cancer, malgr la rticence de la communaut
oncologique et le manque de preuve scientifique attestant des bnfices
cliniques de cette dmarche. Cette discordance entre croyances et envies des
patients dĠun ct, et ralit scientifique et scepticisme des mdecins de
lĠautre, a conduit un travail original qui a abouti la rdaction du rapport
du rseau NACRE en octobre 2017. Il expose le fait scientifique et le fait
socital dans une dmarche rigoureuse qui aboutit des recommandations
de prudence et de vigilance de tous ce sujet.
Summary :
Fasting diet has become a possible treatment option
for cancer patients, despite the jreluctance of the
oncology community and the lack of scientific evidence of the clinical benefits
of this approach. This discrepancy between the beliefs and desires of patients
and the scientific reality and skepticism of doctors led to an original work
and the writing of the restriction
nergtique La cellule normale est capable d'utiliser
d'autres substrats nergtiques que le glucose.
En cas de carence glucidique, l'oxydation dĠautres substrats
nergtiques induirait une meilleure protection contre le stress oxydatif. De
plus, les voies de signalisation intracellulaire Akt
et mTOR seraient inhibes dans cette situation de
restriction glucidique ou nergtique dans la cellule normale. Cela conduirait
la mise en jeu de mcanismes de protection cellulaire complexes que l'on
nomme autophagie. Il s'agit, de faon trs rsume, de mcanismes complexes de
Ç recyclage È des lments cellulaires permettant la viabilit de la ligne.
Etudes precliniques
DĠune manire gnrale, les conditions exprimentales
utilises sont extrmement variables selon le type et la souche dĠanimaux
utiliss, le modle de cancrogense, les modalits des rgimes tudis, et
selon les paramtres dĠvolution tumorale analyss.
CANCEROGENESE OU
PREVENTION PRIMAIRE
Dans les huit tudes de la revue systmatique de Lv et al. (2014) tudiant les effets du jene intermittent
sur lĠapparition de tumeurs, la dure du jene est comprise entre 24 h et 72 h,
avec une dure totale dĠexprimentation allant jusquĠ 52 semaines (3). Les
rsultats de ces tudes sont htrognes, cinq tudes montrant un effet
favorable sur lĠincidence des tumeurs, ou la croissance tumorale ou la survie,
et trois montrant I absence d effet ou un effet dltre.
Vingt-six autres tudes exprimentales, publies entre 1960
et 2016, ont examin I effet du jene. La moiti observe un effet favorable sur
lĠapparition de tumeurs et I autre moiti un effet neutre ou dltre. Le jene
sĠaccompagne gnralement dĠune perte de poids corporel.Interactions avec les traitements anticancereux
Vingt-quatre tudes exprimentales, examinant lĠeffet du
jene ou des rgimes restrictifs associs avec le traitement anticancreux par
rapport au traitement seul (radiothrapie,
chimiothrapie, thrapies cibles) sont disponibles, sans
mta-analyse. Elles utilisent
essentiellement des modles de cancrogense murins transplants, et concernent
principalement des tumeurs mammaires, pulmonaires, crbrales et coliques. Une seule tude a t
mene sur un modle mtastatique.
Dix tudes chez lĠanimal ont examin les effets du jene court ou intermittent
ou du jene non rpt sur la
toxicit des traitements de chimiothrapie et/ou sur leur efficacit. Six
d'entre elles observent une potentialisation de lĠeffet des chimiothrapies
cytotoxiques sur la croissance
tumorale ; deux tudes ne montrent pas d'amlioration de lĠefficacit de la chimiothrapie.
Une tude rapporte des effets ambivalents, avec une augmentation de la survie court terme mais
une diminution long terme. Une tude signale quĠun jene de 48 h rduit
l'efficacit de la chimiothrapie pour deux traitements tests ( forte dose)
sur trois.
Etudes chez lĠHomme
Vingt-quatre articles originaux (essais cliniques, cas
cliniques ou protocoles) relatifs des essais cliniques chez lĠhomme valuant
les effets dĠun rgime de restriction en lien avec les cancers ont t
identifis. Ils correspondent 13 essais enregistrs dans des bases de donnes
cliniques et 9 essais non enregistrs. Les essais ayant des rsultats publis
sont majoritairement prospectifs, non contrls et non randomiss.
Interactions avec les traitements anticancreux
Seize articles correspondant des tudes clinique
sur le jene ou les rgimes restrictifs au cours de l'volution dĠun cancer,
sont disponibles dont trois nĠapportent aucune donne pertinente.
Deux tudes cliniques concernent lĠeffet du jene
intermittent sur la toxicit des traitements antitumoraux
(4, 5). La premire, largement cite dans la littrature sur le sujet, a t
ralise, en cross-over,
chez les 10 patients
recruts : seule la fatigue est significativement amliore durant les cycles
de chimiothrapie associs au jene (4). Dans la seconde, seul essai contrl
randomis disponible, ayant inclus 13 femmes non dnutries recevant une
chimiothrapie adjuvante ou no-adjuvante
pour cancer du sein, lĠincidence des toxicits grade l-ll
et ll-IV nĠest pas diffrente entre le groupe soumis
un jene intermittent et le groupe contrle (5). Par contre, la baisse des
globules rouges et des plaquettes (qui est lĠobjectif principal de lĠessai) est
significativement moins importante dans le groupe intervention, 21 jours aprs
la chimiothrapie (5). Aucune donne nĠest actuellement disponible sur lĠvolution
pondrale des patients et la qualit de vie pendant un jene intermittent Aucune des deux tudes nĠa analys lĠvolution
tumorale. Il n'y a donc
pas de dmonstration dun hr.Ġwfiru du jeune intermittent sur la maladie tumorale ou sur la toxicit des anticancereux dans les textes identifies.
ETUDES CLINIQUES RECENSEES AU NIVEAU INTERNATIONAL
La base de donnes internationale recensant les essais
cliniques. ClinicalTrials gov.
interroge jusqu'en mai septembre 2017. a permis d identifier 26 essais cliniques ayant fait l'objet
d'une publication. Parmi eux, seize
essais sont termins ou ont t suspendus, dont certains depuis plus de 4 ans
Les tudes contrles sont majoritaires mais le nombre de patients attendus au
lancement de l'tude est suprieur ou gal 100 dans sept essais seulement.
Les localisations tumorales le plus souvent tudies individuellement sont : le
glioblastome (n=10), le sein (n=7) et la prostate
(n=4). Les objectifs principaux et secondaires de ces tudes sont la toxicit
des traitements anticancreux dans 14 essais, la survie globale ou sans
progression dans 13 essais et la rponse tumorale dans neuf essais.
Conclusion et recommandations
Actuellement, il nĠy a pas de preuve chez lĠHomme dĠun effet
protecteur du jene et des rgimes restrictifs (restriction calorique,
protique glucidique ou rgime ctogne) en prvention primaire ( lĠgard du
dveloppement des cancers) ou pendant la maladie (quĠil sĠagisse dĠeffet
thrapeutique ou dĠune interaction avec les traitements anticancreux.
Au cours des traitements des cancers, la pratique du jene ou
de rgimes restrictifs prsente un risque dĠaggravation de la dnutrition et de
la sarcopnie, deux facteurs pronostiques pjoratifs
reconnus. La prvention de la dnutrition, son dpistage et sa prise en charge restent donc une priorit pour les professionnels de la
nutrition clinique en oncologie.
Le jene est un fait social que les mdecins et soignants et
les agences sanitaires ne peuvent ignorer. Les patients fondent beaucoup
dĠespoir dans les mdecines complmentaires, et en particulier dans ces rgimes
restrictifs. Les professionnels de sant doivent donc tre lĠcoute des
attentes de leurs patients et permettre un dialogue tenant compte de lĠtat
actuel des connaissances scientifiques et des risques ventuels.
Dans le cadre de ce rapport, le groupe de travail a rdig
des recommandations destines
lĠensemble des acteurs de prvention, les patients et les soignants
Aux acteurs de la prvention, il est recommand dĠinformer
le grand public quĠen IÔtat actuel des connaissances il nĠest pas justifie de
pratiquer le jeune ou un rgime restrictif avec un objectif de prvention des
cancers, et de faire connatre au grand public les recommandations pour la
prvention nutritionnelle des cancers. Ces recommandations sont fondes sur des
valuations des niveaux de preuve, elles sont rgulirement actualises, et
diffuses par l'INCa et le rseau NACRe
Aux patients, il est recommand, en l'tat actuel
des connaissances, de ne pas pratiquer le jene ou un rgime restrictif au
cours de la prise en charge d'un cancer. Et si, malgr cette recommandation,
ils souhaitent pratiquer le jene ou un rgime restrictif, d'en informer le
mdecin traitant et l'oncologue rfrent, afin de mettre en place une
valuation et une surveillance dittique et nutritionnelle indispensable avant
tout projet de rgime de restriction glucido-calorique
Aux quipes soignantes, il est recommand de mettre
en place des programmes de formation des soignants sur les mdecines
complmentaires et sur les rgimes de restriction glucido-calorique
pour faciliter le dialogue avec les patients, et de mettre en place, en
oncologie, des actions de sensibilisation des patients aux risques des rgimes
de restriction glucido-calorique.
Dans le cas des patients atteints de cancer qui
souhaitent pratiquer le jene ou un rgime restrictif :
1. En cas de dnutrition ou de risque important de dnutrition, et en cas de
diabte, il faut leur recommander de ne pas pratiquer un rgime de restriction glucido-calorique.
2. Tout patient suivant un rgime de restriction glucido-calorique
doit tre adress un ditticien ou un mdecin nutritionniste.
3. Il est recommand de proposer et mettre en place une valuation
dittique et nutritionnelle pralable tout rgime
de restriction glucido-calorique et pendant toute la
dure du rgime de restriction glucido-calorique.
References bibliographiques
1.
Rseau
NACRe. Jene, rgimes restrictifs et cancer : revue systmatique
des donnes scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du
jene en France. Novembre 2017
2.
INCa-NACRe. Fiche repres Ç Jene, rgimes restrictifs et cancer È.
Novembre 2017
3.
Lv M, Zhu X, Wang H et al. Roles of calorie
restriction, ketogenic diet and intermittent fasting during initiation, progression and metastasis of cancer in animal models: a
systematic review and meta-analysis. PLoS One. 2014;9(12):e115147.
4.
Safdie FM, Dorff T, Quinn D et al. Fasting and cancer treatment in humans: A case series report. Aging
(Albany NY). 2009 Dec;1(12):988-1007.
5.
de
Groot S, Vreeswijk MP, Welters MJ et al. The effects of short-term fasting on tolerance
to (neo) adjuvant chemotherapy in HER2-negative breast cancer patients: a
randomized pilotstudy. BMC Cancer. 2015; 15:652.
2.
INCa-NACRe. Fiche repres Ç Jene, rgimes restrictifs et cancer È.
Novembre 2017
3.
Lv M, Zhu X, Wang H et al. Roles of calorie
restriction, ketogenic diet and intermittent fasting during initiation, progression and metastasis of cancer in animal models: a
systematic review and meta-analysis. PLoS One. 2014;9(12):e115147.
4.
Safdie FM, Dorff T, Quinn D et al. Fasting and cancer treatment in humans: A case series report. Aging
(Albany NY). 2009 Dec;1(12):988-1007.
5.
de
Groot S, Vreeswijk MP, Welters MJ et al. The effects of short-term fasting on tolerance
to (neo) adjuvant chemotherapy in HER2-negative breast cancer patients: a
randomized pilot study. BMC Cancer. 2015; 15:652.
9